Takrfiyt

Publié le par Kostani

takrfyit

 

                  « Le vent emporte l’information à travers les champs de

luzerne. »

« Rien de plus beau que ces cheveux naturels comme les épines mures du blé dur qui pousse sur les champs de chez nous avant la venue du blé tendre »

 

         D’aucun jeune homme de ce temps ne comprend pas le vrai sens de Takarfyet. Cette tradition héritée des ancêtres des Aït Morghad s’est quelque peu propagée aux autres ethnies sans pour autant avoir le même goût car elle fût quelque peu déviée de son but initial.

         En cherchant à savoir si le terme est usité en rifain, j’ai par la volonté divine rencontré un Znassni (Abdellah) qui me rapporte que la pratique de  takerfyet existe dans les même normes mais sous l’appellation de ASSEKRO ou bien SKIR chez les Ait Abdellah à IGHRAM au Sud de TAROUDANT vers TATA.. Chose qui n’est pas pratiquée par leurs voisins limitrophes Les AIT BA AMRANE ou encore les proches voisins des Ait Morghad notamment toute le confrérie des Ait Atta et des Ait Sadrat sur le DADES. Il confirme que le soir après les travaux, les jeunes filles en âge de se marier font à elles seules AHOUACH (danse locale) dans leur plus belles tenues dans les airs d’abattage. A cette danse, les hommes ne prennent  part que pour célébrer une fête donnée à une occasion connue de tous. Ce  terme « SKYR ! » qui est une exclamation du bonheur exprimé à la fin de sa prestation par un chanteur du dialecte Hassani au Sud du Maroc ou en Mauritanie fait allusion justement à l’amour partagé entre deux personnes de jeune âge. On retrouve le terme Takarfyet chez les Ait Bouzemmour notamment LAKHZAZNA, IKABLIYEN ; MEZZOURFA et tous les berbérophones de la plaine englobant Tiflet et Khémisset pour lesquelles tribus le terme takarfyet en berbère signifie un gros billet d’argent dont le pluriel et tikarfiyne terme qui n’existe point chez les Ait Morghad ni les Ait MIYL ni les Soussi du Haut Atlas...pour désigner les billets d’argent à la couleur du chanel. On le dit pour signifier actuellement 200 dirhams de couleur bleue  mais l’origine du terme vient certainement de la couleur du «  Chicorer » de 100 dirhams et c’est l’équivalent de TIN’AACHINE en rifain.

        

         Par définition, le terme takarfyet signifie tout simplement «  le dialogue » (Haut Atlas Soussi) ou encore : une façon de taquiner une personne en présence des autres dans le seul but est de faire rire l’auditoire mais sans aucun jugement de valeur  ( Moyen Atlas des Ait MIYL : Boumia c’est de la dérision qui est immédiatement écartée par les assistants en vue d’éviter la dégradation de l’un des rares moyens de rire comme c’est aussi le cas pour les dialogues poétiques lors des fêtes et des mariages où l’on ne se ménage pas mais avec autant du savoir faire que la critique malveillante est toujours évitée et bannie par tous les poètes d’Ahidousse.

         Pour les Ait Morghad connus pour avoir été souvent des nomades, Takarfyet va naître dans les bergeries où le soir garçons et filles non loin des tentes de la transhumance et des fois autour d’un feu de bois ou en cardant ou en filant ou encore en tissant la laine des ovins(pour les habits) et parfois de dromadaire ( pour la tante nomade). C’est ainsi que les garçons d’un certains âge se joignent aux filles pour parler de leur journée de bergers et de nuancer leur attirance par des phrases rituelles connues à l’avance et dont les réponses sont également connues des filles .C’est donc ainsi que naquissent progressivement les rudiments de Takerfyet  dont le fondement et la pratique se poursuivront allègrement dans la sédentarisation progressive des nomades.

         Ne portant aucune atteinte ni à la pudeur des anciens de l’oasis ni à l’honneur de la famille ou de la tribu  et encore moins aux principes de l’Islam dont les brides sont mélangés à ceux du judaïsme comme l’ évocation des saints hébreux comme JACOB par tamaouayt (préambule à une chanson berbère ou se suffisant à elle-même par son bref contenu bien ciblé) ou encore JOSEPH comme accompagnant de la mariée le soir des noces ,bien des fois les signes décoratifs qui ont trait soit à la religion judaïque soit aux signes dits portes bonheur comme le grâle qu’on retrouve vulgairement dans certains anciens et nouveaux tapis berbères ou incrustés dans les bijoux reliant les parties d’un habit d’une femme ou encore toutes les activités de l’ACHORA sont semblables à la vie des juifs pendant cette période à commencer par Tachlout( étuit en palme de palmier) qui sert à garder le repas pour demain et qui rappelle SKHNINA le jour du shabat où selon la tradition des juifs locaux, l’on ne doit pas allumer le feu ni faire de travaux même les faire faire aux bêtes de somme.

         La pratique de Takerfyet fût rarement usagée par les autochtones (anciens habitants de l’oasis) mais elle est acceptée dans sa conception inoffensive et n’affectant point leurs propres traditions. Bien que takarfyet permet un contact direct entre les jeunes en âge de se marier, elle n’est souvent pas motivée par l’amour plus que par la notoriété acquise surtout par la jeune fille qui se fait ainsi une belle publicité pour se marier. En outre, dans l’esprit de la conservation de la race et  dans le prolongement des escarmouches entre les différentes ethnies, il n’est point permis aux gens d’une autre ethnie outre morghadi d’aborder les filles des ait morghad et comme la pratique de takarfyet n’est point de leur mœurs donc une grande partie des jeunes de l’oasis en sont privée. Il faut dire aussi que le mariage n’est pas souvent l’apanage de l’amour mais d’une entente entre les familles et que l’homme en âge de se marier en fait un vœu par un intermédiaire à sa maman qui lui trouve une fille de sa propre tribu. L’exception d’un mariage intertribale n’est fait qu’aux chorfa quant à l’amour entre deux personnes de couleurs différentes il n’est point envisagé ni par l’homme ni par la femme et de prime abord il est écarté de l’esprit des jeunes gens. Les rares exceptions rencontrées se passent souvent une fois la soixantaine dépassé par l’homme blanc qui conçoit à prendre pour épouse des fois une jeune femme noire divorcée ou vieille fille ou ayant des problèmes de virginité dans sa jeunesse. Par contre, une femme blanche aussi vieille soit elle ne consentira jamais à épouser un homme noir qu’il soit jeune ou âgé.  Et comment donc se fait-il tout de même qu’un non morghadi ait pu avoir accès à la pratique de takarfyet ouvertement et en dépit du cloisonnement racial qui sévit dans l’oasis ?

                  

         Quiconque fait les premiers pas dans le domaine de Yakerfyet sans en avoir connu au préalable les règles fondamentales risque d’être banni de toute la palmerai voir de ne pas trouver une femme à marier pour sa maladresse. En effet, la première règle serait d’abord de ne pas adresser la parole à une femme mariée ni à une jeune fille fiancée. Ensuite il faut d’abord respecter les règles d’usage qui consistent en des expressions pour savoir que l’on est accepté pour parler ou pas, vient ensuite l’initiative du sujet qui reste du domaine de la jeune fille tout en improvisant des fois après des jours de rencontres et l’acquis de confiance. Ce qu’il faut surtout éviter c’est de parler autre sujet ou de dire un mot tabou ; de parler d’autres filles ; de parler à haute voix ; de s’approcher de la fille à une certaine distance respectable ne prêtant à une aucune incongruité par fausse interprétation des passants ; de faire un geste même pour l’aider sauf sur sa demande qui reste très rare pour le port du fardeau de luzerne ; de passer outre la trame quand il s’agit d’un lieu de tissage ; de rapporter à autrui ce qui a été dit même aussi normal soit –il ; de faire un regard douteux même sur le corset ouvert de la tenue traditionnelle et qui laisse parfois la possibilité de voir des seins naissants de jeune fille sans soutiens ;ou de manifester ne serait ce que par la rougeur des joues une envie douteuse ; ou de se mettre à fredonner une chanson comme un vulgaire vagabond … Bref ,autant de limites tendant à garder intacte la dignité de la fille et de sa famille. Certes, ces contactes visent à établir une compréhension dans le but de trouver un conjoint idéal dans son esprit et dans sa beauté. Mais comme dit ci-dessus, une fois l’un ou l’autre est marié ou fiancé, les rencontres prennent fin et avec.

          Dans le prolongement des conventions que j’ai évité les détails pourtant très instructifs pour toute personne éprise de vouloir savoir plus sur la pratique réelle de Takarfyet où il faut l’avouer il y a un certain art et un savoir faire voir aussi un savoir vivre dans la noblesse des mots et des actes.

         Il faut bien préciser que les seules personnes en âge et en situation de se marier ont droit à cette pratique (jeunes adultes et jeunes divorcés)  et encore chacun avec les filles de son ethnie ou de son alliance tribale. Autrefois, les signes apparents de ce statut sont portés sur la tête de la jeune fille comme sur la tête du jeune homme par des coupes particulières de cheveux ou par le port de tresses d’une façon bien précise comme une identité et une situation matrimoniale de la personne ou des prétendants. (Azag et tachtouyt ou tichtay n’étaient pas des ornements mais des identités bien évidemment avant tout). Mais cela n’empêche qu’à l’utile on ajoute souvent l’agréable comme les tresses latérales à la mode romaine ou encore une coloration naturelle au henné et le frottement à l’huile d’olive   qui donnent aux cheveux des nuances en or et une vitalité que seul le vent à le droit de palper et de passer ses longs doigts dedans et rien de plus beau que ces cheveux naturels comme les épines mures du blé dur qui pousse sur les champs de chez nous avant la venue du blé tendre, ou encore ces tresses en crinière que porte chaque vierge avec autant de fierté sur sa tête comme un signe révélateur de sa virginité et de la garantie qu’elle en donne. Il est évident que mon gout pour ces cheveux dont personne ne veut pour leur couleur dites avec mépris «  pollen  des épies de maïs » n’est pas partagé de tous car la couleur préférée pour les cheveux d’une future épouse est bien le noir brillant tendant à un bleue nuit comme il n’en existe que chez les filles du sud et qu’on entretient traditionnellement par une application de l’huile d’olive et ensuite du henné.

         Les règles des us et coutumes touchant à la femme sont presque très limitées à son statut matrimonial qu’elle doit porter sur sa tête de part la façon de coiffer ses cheveux et en cas d’erreur d’abordage, elle annonce sans hésiter qu’elle est mariée quoique l’erreur soit souvent écartée par les mesures préventives et les signes extérieurs de la façon de s’habiller et surtout de se coiffer. Quoique les divorcées ne puissent pas être identifiées aux vierges, il ne saurait y avoir non plus une confusion avec les femmes mariées. Pour ce faire, on a trouvé vers les années cinquante le mode d’IKIFFI qui serait une façon de regrouper les cheveux en arrière de la tête et souvent recouverts par un châle. Sauf dans la fougue de sa participation aux travaux des champs ou des récoltes ou des moissons ou encore de l’abattage, le fait d’avoir les cheveux laissés nus par une femme divorcée est mal perçu par les gens et parfois même font l’objet d’une critique attestant de la légèreté de la divorcée qu’il faudra remettre sur le droit chemin surtout par les mâles de sa famille ou de sa lignée. (Appelée ici : la côte  IGHESS).

       

                 

         J’ai évoqué indirectement le temps et les lieux à savoir l’après midi et lors de la présence des personnes en âge de se marier sur les champs notamment sur les champs de la luzerne parsemés dans toute l’oasis surtout la partie dite palmeraie irriguée ; ceux-ci étant régulièrement et quotidiennement fréquentés. Mais à juste titre, c’est plutôt les conditions évoquées et les règles générales qui sont les facteurs dominants pour la pratique. Sinon, en tout lieu et en tout moment, on peut bien pratiquer takarfyet. C’est ainsi qu’on peut commencer :

         Dès le matin avant le levé du soleil si on accompagne une jeune fille qui va puiser de l’eau propre en amant de la rigole voir à la source comme c’est le cas à TALTEFRAOUT. Et il n’est pas étonnant de voir au beau matin une fille à dos d’âne et un jeune homme à bicyclette marchant côte à côte tout en parlant entre eux sans complexe. Il en est de même pour les jeunes filles d’un village voisin (taltefraout) qui viennent uniquement le matin couper leur luzerne et qui sont abordées par les jeunes d’El borj en particulier en raison de la proximité des champs à ce hameau.

         Vers dix heures c’est soit au lavoir public, soit à la rivière quand il y a de l’eau à l’Oued Ghéris. Ce moment est un peu délicat dans la mesure où les filles sont en tenues moins discrètes et que l’eau fait coller les tissus sur le corps mettant en évidence leurs charmes intérieurs qu’il serait impossible de deviner en d’autres lieux même quand il pleut. Il est bien évident qu’une fille au lavoir n’accepte pour discuter ou pour lui tenir compagnie que celui acquis de confiance depuis des jours d’autant plus que les filles chantent souvent en lavant du linge ou de la laine et ce n’est pas pour le plaisir du premier venu qu’une fille se mette à chanter sous peine d’être traitée de frivole -(IFERCH) Il est bien évident que même si les vêtements légers et mouillés ne montrent pas grand-chose des charmes de la jeune fille car elle n’a pas le temps de développer complètement sa poitrine qu’elle se trouve déjà mère avec des problèmes des tétons qui n’ont pas encore pris leur forme finale .Ainsi, ce problème de rondeurs ne se pose qu’aux femmes divorcées lesquelles femmes sont presque tout le temps sous l’œil vigilent du père de la mère et de tout  le monde et en dépit des apparences de sa liberté totale ,une divorcée est plus discrète et moins enclin à accepter n’importe qui dans son sillage.

          Vers midi et comme la femme participe avec l’homme aux travaux des champs et aux cueillettes, il n’est pas étonnant que pendant un moment d’absence du père que la jeune fille et leur voisin venu leur donner le coup de main se disent quelques paroles usuelles de Takarfyet sans toutefois outrepasser les usages.

         L’après midi est le moment où la flèche de la pratique arrive à son sommet car c’est justement à ce moment là que les jeunes hommes sont libérés de leur obligations de participation aux travaux des champs ou de réfaction ou de toute autre obligation envers la famille ou envers la tribu car tous les travaux prennent fin juste avant la prière du milieu de l’après-midi (vers 16h30 en été).

         Après le coucher de soleil c’est le diner et on passe déjà au lit pour se réveiller à l’aube. Ce n’est pour autant que Takarfyet prenne fin car, les filles groupées pour le tissage peuvent admettre que des garçons acquis de confiance peuvent leur tenir compagnie pendant une durée de la nuit. Il est certes rare de le constater mais à des localités très réduites comme ASEFLA, AIT BRAHIM, TIMAZYET et enfin TALTEFRAOUT, c’est presque entre cousins et cousines que l’on discute tout en tissant pendant la nuit. Il est évident que la trame fait la limite physique des corps et que les usages font celle des sujets abordés. Pendant ce moment, les filles chantent des fois mais des romances anciennes ou encore mieux des refrains à consonance religieuse pour apporter la baraka sur la toile en cours du tissage et la voix est souvent basse.

         Force est de constater encore une fois que nous étions les premiers avant l’Europe à donner à la femme la liberté de choisir son futur conjoint. Cette liberté qui a su à travers les temps rester intacte sans dépassement ni abus de confiance au point où dans ma langue maternelle j’ignore jusqu’à ce jour par quel prénom on désigne une prostituée. C’est dire que certainement dans les sociétés mêmes « primitives » des oasiens, on ne concevait pas de relations sexuelles en dehors des liens de mariage et encore moins une femme qui vivrait de ses seins ( se prostituer)... J’ai bien voulu affirmer le manque de tout contact physique entre les jeunes hommes en dehors du mariage mais hélas, alors que j’y crois aveuglement, et mon grand désarrois,   J’ai appris par une source de bonne fois, qu’autrefois, si une jeune fille tombe enceinte, elle garde son enfant et le ramène sur le dos du mulet derrière elle la nuit de noce s’il s’agit d’un garçon. Arrivé à domicile et avant qu’on le fasse descendre du dos de la monture celui ci  reçoit donc à l’arrivée au domicile du mari de sa mère une portion de fruits secs en cadeau (généralement des amendes non cassées). C’est dire que l’enfant naturel n’était non plus mal vu par la tribu et il est affilié à sa mère et par un raccourci, à son grand père maternel. Cependant, de nos jours une telle chose n’est point admissible voir même qu’il serait vraiment très drôle de se marier à une jeune fille qui a eu un enfant loin des liens de mariage. C’est dire aussi que le témoignage rapporté ci dessus ferait l’objet d’une polémique dont je suis conscient mais que je garde incrusté sur ce modeste essai, car ma source est digne de foi et ma conscience ne me permet d’y mettre ne serait ce qu’un soupçon de doute et que je ne dois taire non plus par respect à la mémoire collective qui a droit de tout savoir.

         Je pense aussi qu’il serait judicieux de ne pas taire non plus l’évolution de la pratique qui tend à prendre d’autres ampleurs notamment dans sa pratique par ceux là même mariés, lors du tissage ou de faire le linge de toute la famille au lavoir public.

         On ne peut non plus ne pas reconnaitre aussi ce côté positif de Takarfyet à savoir la connaissance parfaite de la palmeraie, des limites des champs, des passages des conduites d’eau, des voies d’accès à certains champs et pourtant c’est là souvent l’objet de plusieurs litiges entre deux prioritaires riverains ou limitrophes et dont le témoignage après un certain âge pourrait apporter une solution amicale voir judiciaire à un litige. Car rares sont ceux qui possèdent des titres de propriété car en général, la palmeraie héritée des ancêtres qui l’ont prise par force et l’ont partagée selon leur participation à la conquête. Même les anciens habitants épargnés n’ont fait que défricher et cultiver les lopins de terre sur la rive est de l’Oued Ghris ( Ighris ou le fil ) dont le débit donne son nom à cette rivière à savoir que juste un fil d’eau qui y coule pendant l’été et ne peut donc irriguer qu’une surface limitée ( voir la loi sur l’irrigation à Tadighoust) .

        Il faut dire que la pratique de Takarfyet ne se passe pas sans de petits incidents surtout quand on se croit initié voir maitre en la matière. Je dois donc vivre un moment où je dois faire les frais de mon zèle à Taltefraout. C’est un village où tout le monde se connait car isolé et cloitré ; tous sont presque en famille dans ce petit village verdoyant et gaie. Je connais certaines jeunes filles de ce village qui viennent couper la luzerne non loin de notre maison et donc j’ai eu de bonnes relations avec elles surtout qu’elles sont modestes et agréables à la discussion. Je disais qu’elles sont confiantes dès le départ par habitude. Et voilà qu’un jour des amis m’invitent pour passer la journée dans ce village dans lequel je me rends à bicyclettes et dans un état d’euphorie car je sais qu’ils ignorent mes relations traditionnelles avec certaines filles de leur patelin. Ainsi, je descends chez mon meilleur ami. Lors du déjeuner, sa sœur nous donna à nous laver les mains avant et après le repas. Elle nous a également préparé le thé traditionnel après le repas et ainsi je suis sorti au début de l’après midi avec mon ami pour rejoindre les autres sur le sentier central de la palmeraie c'est-à-dire celui que toute fille empreinte en partie ou en totalité pour se rendre à leur champ de luzerne et c’est là que se s’établissent des liens et des rencontres en vue de Takarfyet. Nous sommes tous là accoudé chacun à un palmier, derrière une rigole où coule une eau pure avec des larves de la truite. Pour chaque fille qui passe, certains lui lancent une bonne parole d’usage et elle nous souri ou répondent selon la force intellectuelle de la fille. Et voilà de loin que vient presque la plus belle fille qu’il m’est donné de voir pendant toute la journée. Arrivée à notre niveau, tout le monde s’est tu. Alors, je lui demande de s’arrêter et de regarder comme moi pour me dire si mes amis sont aveugles ou s’ils sont en pierre. Elle me répond que ni l’un ni l’autre et me demande pourquoi je lui demande ça ; et ma réponse fût ainsi : « comment se fait –il qu’ils ont les bouches bien ouvertes pour des filles moins belles et qu’au passage de la plus belle du village ils sont devenus aveugles ou qu’ils se sont transformés en pierres » ? Elle me répond que bientôt j’aurai ma réponse et elle nous quitte. Il fallait attendre qu’elle se soit éloignée pour que tout le monde se mette à rire d’un rire qui est certainement entendu par elle et par d’autres sur la palmeraie. C’est son frère qui me demande si en si peu de temps j’ai déjà oublié le visage de sa sœur qui nous  a servi de l’eau pour nous laver les mains. Là j’ai répondu que jamais de ma vie je ne regarde le visage de la femme ni de la fille qui me verse de l’eau pour me laver les mains comme je ne regarde jamais le visage de la sœur d’un ami dès lors que je rentre chez lui. Il me demande alors de suivre sa sœur pour aller lui dire tout ce que je viens de dire car elle doit avoir honte de ce j’ai fait tout à l’heure. J’ai bien demandé son nom et je l’ai suivie en accélérant mon pas car je ne sais pas à quel endroit elle doit bifurquer sur leur champ, d’autant plus qu’il serait ridicule en cas où elle serait dissimulée par les arbres ou par la luzerne de l’appeler. Elle s’est retourné depuis tout à l’heure et elle m’a vu venir. Arrivé à son niveau et n’ayant rien préparé comme mot d’abordage, j’ai eu la chance qu’elle se mette à rire. Sa réaction est aussi l’une des particularités de Takarfyet car elle a anticipé sur ce qui s’est passé entre nous les hommes pour me dire, « Comme ça tu apprendras à regarder celle qui te sert de l’eau pour boire ou pour te laver les mains » nous rions tous les deux et nous continuons comme ceux qui se connaissent depuis longtemps vers leur champ. C’est alors que nous rencontrons l’une de celles qui me connaissent chez nous dans notre oasis et c’est touts les trois que nous avons passé l’après midi ensemble allant d’un champ à l’autre en débordant un peu du rituel car c’est ainsi que l’action a elle-même commencé. Là, il faut savoir improviser tout en respectant les limites et c’est le summum de Takarfyet.

Le hasard a voulu que cette fille soit quelques mois après mariée à un homme que je ne porte pas beaucoup dans mon cœur et qui habite à une centaine de mètres de chez moi. L’eau cette année là était rare et donc il faudra aller de bon matin chercher une eau pure à mi chemin de l’amont de la rigole avant que l’on commence à laver toute sorte de linge et de laine coloriée. Donc, à l’aube, je partais avec un âne transportant quatre gargoulettes pour rapporter l’eau de boisson et des préparations du thé et des repas. C’est ainsi qu’un matin alors qu’il fait encore noir que nos deux montures marchent côte à côte. Nous nous saluons comme il est d’usage dans le patelin que tout le monde salue tout le monde. Et à notre grande surprise nous nous rappelons nos noms. Et comme par la passé nous avons bien retrouvé nos habitudes de takarfyet contrairement aux traditions mais nous nous plaisons ainsi et chaque matin le premier qui arrive à un point attend l’autre. C’était donc le seul cas où j’ai eu un grand plaisir à la pratique même en prenant le risque d’être surprix un jour par son mari et qui était très farouche. D’ailleurs, elle ne tardera pas à le quitter et par voie de conséquence à me quitter moi aussi. Son départ n’était pour moi qu’un soulagement car étant condamné à la quitter pour aller au collège, j’avais le souci de la laisser à ses souffrances qu’elle me raconte chaque matin. Je sais que ce n’est plus Takarfyet mais serait-elle déjà là dès lors que c’est avec une femme mariée ? N’avons pas dit que ce sont là des choses qui ne se font pas ? Mais même décrite comme ci-dessus, Takarfyet ne manque pas de ses petites mésaventures et puisque c’est ainsi en voilà donc celles qu’un homme comme moi prêchant par excès de confiance en soi en matière de cette pratique et portant le seau de La Laurley qui avance devant moi à chaque fois que je mets le cape sur un champs de luzerne et des fois même sur une autre palmeraie.

Pour une fois qu’animé de bonne foi et avec un plan en tête, j’aborde une fille d’un noble et respectable homme de notre Ksar. Je lui demande si je pourrai donc la rejoindre dans leur champ de luzerne et il n’y voit pas d’empêchement en me disant qu’elle sera bien dans tel champ que je connais bien. Certes, Takarfyet est le propre des filles et des garçons des Ait Morghad mais elle aussi est descendante d’une mère morghadi et donc enclin à admettre la chose qui lui vient de droit du côté de sa mère. C’est donc tout naturellement qu’après la prière du Aasr que je vais rejoindre Lalla A dans le lieu prévu. A ma grande surprise, elle n’avait pas de foulard sur sa tête comme à son habitude mais elle n’avait pas non plus la tresse symbole de la virginité au milieu de sa tête. Ses cheveux comme je n’en ai jamais vu étaient de toutes les couleurs naturelles de la fin du printemps. Je lui demande comment une noble Lalla comme elle ne porte pas le carré de tissu noir sur sa tête comme mes sœurs et toutes les filles et épouses des nobles, elle me répond qu’il est juste à côté d’elle et qu’elle a fait ce geste pour moi et pour me montrer qu’elle n’est à sous estimer devant la blonde Laurley. Là j’ai bien rit même s’il est impoli de rire dans pareil cas et nous poursuivons notre discussion. Je lui dis que certes elle n’a rien à envier à la Laurley et que mon choix justement est porté sur elle. Donc dès le premier jour sans l’avoir fréquenté souvent je lui demande si elle accepte de devenir ma femme. Là elle s’arrête de couper la luzerne et ses yeux fixant les miens elle me dis «  Ecoute fils d’Ittoch Ali (nom de ma mère), je ne suis pas celle dont on se moque facilement aussi je te demande de partir d’ici et sur le champ » C’est la première fois de toute ma vie que je ressens de l’humiliation et je sens toute la douleur et tout le poids de cette humiliation et une chose étonnante on ne répond rien dans pareille situation pour la simple raison que la fille en vous appelant par le fils de telle femme, elle se protège derrière votre propre mère et donc c’est toute votre pudeur qui est mise en cause. Ce qu’il faut faire c’est d’abandonner et de s’avouer perdant sans aucune réaction. Donc, je me ramasse comme on dit bien chez nous et je quitte les lieux. J’avoue que j’ai pris conscience de mon côté faible en ce moment et donc j’ai perdu gout à la pratique de Takarfyet. Le temps passe et mon ami se mari me chargeant malgré mon inexpérience d’organiser son mariage et ses festivités. Ma mère m’était d’un grand secours et j’ai bien réussi à le faire. Aussi, la troisième jour où les deux époux invitent leurs meilleurs amis je fus invité. Dans cette soirée il y a eu juste les deux époux, le frère de Lalla et son épouse, Lalla et moi. Nous étions sous les étoiles brillantes de l’été et on parlait de tout et de rien. Le nouveau marié content de sa femme et de son nouveau statut me souhaite à moi et à Lalla pareille chance et c’est comme ça qu’il nous demande en présence du frère de Lalla et de son épouse pourquoi est ce que nous deux nous ne commençons pas dès ce jour à préparer notre union ? C’est justement l’occasion de prouver ma bonne foi de l’autre jour et de retrouver une part de ma dignité en lui disant : je ne vous cache pas que je lui ai proposé de devenir ma femme mais elle m’a chassé. Tout le monde s’est étonné et demande une explication par les regards dirigés vers Lalla. Elle prend la parole calmement en disant : « Je ne croyais pas qu’il parlait sérieusement ». On nous dit alors qu’il est toujours temps mais je rétorque qu’en désespoir de cause, j’ai juré de ne pas ma marier au patelin sauf si entre temps elle revient sur sa décision  et que cette nouvelle me parvienne par l’intermédiaire d’une femme sérieuse avant de me décider à voir ailleurs .Finalement, donc j’ai été cherché une cousine dans une lointaine contrée de derrière les montagnes noires au turban blanc au nord de notre oasis et qui a accepté de se marier à moi dans un ou deux ans en raison de son âge et de mes moyens matériels . J’ajoute que je l’ai fait sous le conseil d’Ittoch Ali ma mère et de son frère mon oncle Lhoucine ben ali ben abdessamad (dit lhou ou abdessamad)  . Là, Lalla essuie discrètement une larme qu’elle m’explique en me disant qu’en raison de toutes les filles avec lesquelles j’ai pratiqué Takarfyet, elle a cru que j’étais frivole et n’a pas pris mon offre au sérieux. Elle affirme ne rien regretter sur notre union devenue impossible oui, rien sauf que d’avoir humilié le nom de ma mère ce jour là. J’aurai tant aimé la revoir des années après mais hélas, il ne sera pas possible car Lalla est restée Lalla dans toute sa noblesse et dans la grandeur de ses ancêtres et de son mari qui est digne de tout respect. Comme quoi on garde toujours nos secrets d’antan par respect à notre propre dignité et plus encore par la considération qu’on a envers la femme dans notre petite oasis ce bout d’aiguille sur la carte du monde.

Je dois avouer qu’avec toutes les femmes que j’ai connues par la suite et avec lesquelles j’ai essayée le mode de Takarfyet une seule a apprécié cette pratique respectueuse et c’était encore une sahraoui de Tantan  où Amina me vouait un grand respect que je lui rendais au retour et avec laquelle en dépit de notre isolement dans une maison d’une amie, je ne l’ai jamais embrassée ni encore moins approchée physiquement. C’était si à peine, comme dans un champs de luzerne , on prenait du thé en bavardant comme chez nous au patelin. Certes le jour où je devais partir sans pouvoir lui dire au revoir, j’ai eu une larme aux yeux et j’ai compris que je l’aimai sans le savoir. Jamais plus je n’ai eu de ses nouvelles et elle n’a pas cherché les miennes même qu’elle  connaissait l’un de mes amis qui pourrait bien la renseigner.

 

                   Enfin, je sais que j’ai débordé quelque peu de mon sujet pour des raisons un peu plus nostalgiques et pour arriver enfin au bout du tunnel afin de  confirmer que takerfyet n’est pas une amourette et encore moins un amusement mais c’est tout un art linguistique et un mode de vie éducatif qui existait bien chez nous pendant des siècles à l’époque même où tout européen appellerait sa propre épouse «  FEMME ! » pour s’en servir comme une bête.  C’est pourquoi aussi, je laisse la porte ouverte à toute critique  et le débat est ouvert encore une fois pour clarifier, rectifier et apporter un ajout à cet essai fait de mémoire d’un homme ayant quitté physiquement Tadighoust depuis plus de quarante ans et où les choses comme les traditions ont dû évoluer sans que j’en prenne connaissance. Donc aux autres de prendre le relai pour nous éclairer encore mieux. 

 

      Mohamed ou Thami n’ Lbarj Akdim

Publié dans tadighoust

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