plaidoyer pour une sociologie des oasis

Publié le par Kostani

Plaidoyer pour une sociologie des oasis

 

Ben Mohamed Kostani

FLSH   Meknes

Les oasis constituent 30٪ des terres émergées, elles occupent  le long de la zone aride qui relie l'Afrique à l’Asie, du Sahara à la Mongolie, l’espace qu’on appelait jadis, la route des Ksours. Cet espace abrite 150 millions de personnes.

La première caractéristique reste la vie difficile avec des ressources rares en terres et en eau, d’où la nécessité absolue et permanente d’une compensation humaine des déficits  par l’intelligence, le labeur, l’organisation, la rigueur et parfois par des interventions  violentes de force ( Ghezous auparavant et toutes les formes d’extrémismes et de réticences actuelles, qui ne sont en générale que des formes d’expression contre l’exclusion et la marginalisation  …)

La deuxième caractéristique qui résulte de la première, c’est l’aspect  totalement humain de l’écosystème oasien.

 Dans ce sens les oasis restent un modèle de ce qu’on appelle actuellement le développement durable, développement qui épargne les ressources actuelles pour les générations à venir.

Les institutions sociales  des oasis, avant l’avènement de la première   mondialisation qui est la colonisation, marchaient comme l’aiguille d’une montre, les homos situs[1]vivaient en paix et en symbiose totales avec leurs milieux naturels et leurs structures traditionnelles. Mais dés lors, beaucoup de facteurs( la centralisation administrative, le travail salarié, l’école moderne, l’hygiène…et après l’exode rural, fuite des capitaux, fuite des cerveaux…) tout cela conduit à l’hémorragie des forces vives.

En estimant que les oasis « payent un tribut injuste à un mode de développement arbitraire, les oasis refusent de mourir et lancent un appel au monde par le biais des associations oasiennes RADO »[2] 

A l’instar de cet appel de développement durable, j’esquisse ici dans ma contribution un plaidoyer épistémologique.                      

Le désert, cette étendu qu’on croit inerte, qui est l’objet poétique par excellence, du tourisme et de l’exotique, doit être un sujet de réflexion scientifique et objective. Et si les sciences naturelles ont travaillé beaucoup sur le thème désert[3], les sciences humaines n’ont fait qu’esquisser le domaine[4], surtout lorsqu’il s’agissait de l’intérêt colonial[5].

 

Ainsi, il est temps que ces sciences s’intéressent à ce sujet presque vierge.

 

Les motifs de cet intérêt sont multiples, et on peut les classer en deux grandes catégories, les raisons d’ordre théorique, et les raisons d’ordre pratiques.

 

1_  Les motifs théoriques :

 

-                              La connaissance d’une culture traditionnelle qu’on ne trouve plus nulle part, une culture "fossile"  qui est la résultante positive des siècles de tâtonnement, de clairvoyance et de sagesse. Ce qui peut devenir un laboratoire d’anthropologie culturelle, pour méditer méthodologiquement les institutions, si non en plein fonctionnement, leurs souvenirs sont encore d’une fraîcheur appréciable…

 

-                              La terminologie sociologique et anthropologique est d’une vivacité étonnante  et baigne encore dans un champs sémantique très véhiculé, ce qui aide au niveau épistémologique la conceptualisation qui est  l’ossature de toute construction scientifique.

 

-                              Les grandes théories sur le Maghreb ou sur le Maroc : Ibn Khaldoun, la segmentarité, mode de production, sociologie coloniale et sociologie nationale, peuvent trouver dans les oasis un terrain favori d’expérimentation et de vérification[6].

 

-                              De multiples sujet et thèmes peuvent faire l’objet de recherches, de réflexion et de débat, des thèmes comme l’habitat traditionnel, la morphologie sociale, la micro-économie, coutumes, culture populaire..

 

-                              La tradition orale et l’information sont d’une "complicité" étonnante…

 

 

 

-                              2_  Les motifs pratiques :

 

-                              D’abord, comprendre, connaître, pour mieux contrôler et agire contre la désertification, l’immigration, l’exode rurale et le chômage…car la meilleure hygiène contre la désertification c’est d’abord implanter l’homme qui peut lui même implanter un écosystème anthropogenèse  adéquat…

 

-                              La connaissance scientifique des hommes et du milieu saharien peut amener beaucoup de leçons et de   sagesse  à nos connaissances trop savantes et trop précaires, une bonne hygiène contre le positivisme et le scientisme..

 

-                              Les hommes du désert ont besoin d’une protection contre le libéralisme sauvage qui marginalise tout ce qui n’est pas utile et apte au marketing. Ainsi on peut parler  d’une exception oasis.

 

-                              Comme esquisse méthodologique, pédagogique et épistémologique, on propose les réflexions suivantes :

 

-                              Une histoire pour délimiter la chronologie du désert par des fouilles archéologiques, rassemblement et traitement des documents, institutionnalisation des musées régionaux…

 

-                              Une anthropologie, pour   comprendre, décrire et expliquer les institutions « archaïques » et  des nomades et des sédentaires( cultures, rites, morphologie sociale, tribus, clans, confédérations…)

 

-                              Une sociologie pour mieux    cerner les institutions modernes actuelles, l’école, la santé, la jeunesse, le sport, l’association…et une sociologie urbaniste pour restituer l’habitat traditionnel hélas en désuétude ou presque, le fameux phénomène de l’éclatement des qsours..

 

-                              Une micro-économie qui remet en valeur la culture vivrière, l’argent de l’immigration et de l’exode rural..  

 

-                              Une géographie, qui peut délimiter l’espace désert, les problèmes de l’eau et la désertification…

 

-                              Une science juridique et administrative pour réorganiser la vieille «  Jmaa » au niveau de la collectivité locale.

 

         Tout ce que nous venons de citer peut apporter aide aux oasis qui attendent beaucoup mais qui peuvent donner encor plus.

 

Comme approches et techniques de travail, Le travail associatif marié au travail académique a amené des idées  bien précieuses, comme l’approche participative qui a compris, a partir des erreurs sur le terrain des approches de développement classiques comme les interventions politiciennes et administratives, combien est précieuse la collaboration des populations locales, non seulement au niveau de savoir faire et de savoir être, mais même au niveau de la conception des projets et la résolution des problèmes, dans ce sens la sociologie du quotidien est fort bien nécessaire.

 

L’approche genre qui a compris l’importance de prendre en considération les spécificités des champs d’actions, surtout le domaine de la femme, l’enfant et la famille.

 

Ces approches sont mariées à de nouveaux mode de recherche comme la recherche-action qui sort des bibliothèques et casiers des départements universitaires pour collaborer à la prise de décision locale, régionale et nationale.

 

Une panoplie de techniques est élaborée au profit et de chercheur et de l’animateur social, des techniques comme, la mobilisation, le plaidoyer, le partenariat, le lobbying, des grilles d’évaluation, la négociation, la délégation, la résolution des problèmes, La gestion des conflits, la prise de décision…etc.

 

L’on souhaite que nos universités et nos écoles développent leurs qualités  d’écoute envers  une mondialisation positive du savoir.          

 



[1] Zeroual, Hassan.- Territoire s et dynamique s économiques, L’Harmatton, Paris, 1998. " lhomo situs est un individu qui interprète et s’adapte avec les moyens du groupe aux situations auxquelles il est  confronté. il est un élément du biotope du territoire, il ne cherche en rien à le dominer mais tout simplement à y survivre. C’et aussi un homme social , pensant et agissant. »   

 

[2] Lappel de Goulimim

 

[3]l’exemple de l’institut des études sahariennes et sa revue en Algérie restent un bon modèle à suivre.

 

[4] Malgré quelques cas particuliers, Voir l’étude remarquable de ben cherifa et popp, L’oasis de Figuig,  Persistance et changement. Passau, Rabat. 1992.

 

[5] Voir notre thèse de doctorat, L’oasis de Gheris et le protectorat, mécanismes de changement et formes de résistance.

 

[6] Voir notre mémoire de DES, Les oasis marocaines pré coloniales, cas de Gheris.

 

Publié dans tadighoust

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M
Il m'a été donné d'assister à une discussion entre un ancien ministre de l'intérieur et un ancien chef de la DGED au moment même de leur apogée sur leur siège respectif. A un moment sans même faire attention à ma présence, le dernier dit au premier :" les oasiens sont peu faits pour la politique, il faut limiter leur action dans le domaine pratique sinon ils risquent de tout bloquer par leur rigueur et leur pragmatisme " fin de citation.
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